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Extrait du texte de Samedi détente

Sur la route à l’aller, ils nous appelaient tous des Tutsis. Tous les enfants, les adultes, mes cousins, et moi. Mon père leur disait à chaque barrière, « mais ne voyez-vous donc pas mon père, ici même ? Regardez sa carte d’identité et regardez la mienne. »

Sur la route du retour, les "inkotanyi" (les troupes armées du Front Patriotique Rwandais FPR) demandaient à tante Alphonsine, la petite sœur de mon père, ariko wowe wacitse ute ? Comment as-tu survécu ? À cause de son nez étroit.

Qu’est-ce que c’est ça ?

Une machine à coudre.

Qu’est-ce que c’est ça ?

Une radio.

Qu’est-ce que c’est ça ?

Des diplômes.

C’est quoi cette langue ?

De l’allemand.

Où est votre femme ?

En Angleterre.

IKITSO – une espionne, n’est-ce pas ?

Il y avait toujours des blancs chez vous, vous le saviez, vous étiez au courant, c’est

pourquoi elle s’est enfuie !

PARLEZ !

Indangamuntu ! Cartes d’identité !

Il faisait très chaud. On marchait très vite. Les poux nous dévoraient. On en avait tellement que dès qu’on se reposait quelque part, on commençait à en tuer. Il y en avait beaucoup et partout. Dans nos cheveux et dans tous les plis de nos habits, véritables royaumes des

poux. On faisait même des concours pour voir qui pouvait en tuer le plus possible en moins de temps.

UN, DEUX, TROIS, PARTEZ ! Chaque enfant, roi de ses couches d’habits, s’acharnant sur ces petites bêtes, et quand on en avait suffisamment tuées on poursuivait le travail en s’attaquant aux couches d’habits du voisin.

Des jeux.

Des massacres.

J’allais avoir 12 ans.

Enfant et adulte en même temps.

Je n’ai pas connu la crise de l’adolescence.

Je m’occupais de David et du miel.

À notre retour à Kigali, il y avait des chiens partout. De gros chiens. Bien en chair. Des vautours aussi. Plus que rassasiés. Dans les rues désertes de Gikondo étaient éparpillées des photos parfois en couleur et d’autres en noir et blanc. Une sorte d’installation de corps en décomposition et de clichés de vies figées et anéanties du jour au lendemain.

Dans le couloir, VITE !

Pourquoi ?

Les enfants, toujours à demander pourquoi. L’avion du président Habyarimana avait été abattu. Je pensai à nos jeux des semaines précédentes et ce que les vieux nous disaient.

On n’était pas dans Delta Force, il n’y avait pas d’Arnold Schwarzenegger. Plus d’Américains, plus d’Anglais, plus de Français, plus de Belges, plus de Suisses, plus de ressortissants étrangers. Ils sont tous partis, et nous ont laissés seuls dans la merde et dans le sang.

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